Le diagnostic territorial constitue une phase d’analyse, plutôt qualitative, qui démarre en amont des autres suivis. Sauf bouleversement et changement radical de situation sur un site, en cours de projet, le diagnostic territorial prend place en année 1 du projet et n’a pas vocation à se répéter. Il s’agit d’un diagnostic initial, d’une durée d’environ 6 mois, opéré site par site. Il vise à produire un état de l’art. Il mobilise les parties prenantes du territoire par le biais d’entretiens ciblés (collectivités, élus, comité des pêches [national, départemental, régional], association de riverains, développeurs, syndicats d’énergie, CCI, agences de développement économique, office de tourisme, acteurs du nautismes, gestionnaire portuaire, service de l’État (Office français de la biodiversité (OFB), Direction Interrégionale de la Mer Méditerranée (DIRM), Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM)), acteurs culturels, etc.), et éventuellement de focus groupe. Il contribue à flécher les enjeux relatifs à la relation entre parcs éoliens et territoires et à identifier les acteurs concernés par ces enjeux. Les dispositifs et initiatives de suivi existants seront identifiés.

L’objectif de ce diagnostic est d’instaurer un dialogue avec le suivi thématique et le suivi ouvert lorsque ces derniers se mettent en place, de manière à les informer dans leurs orientations, mais aussi à bénéficier des apports de ces derniers. Ainsi le diagnostic territorial permettra d’identifier et de hiérarchiser les enjeux sur les différents sites et contribuera donc à resserrer la focale du suivi thématique sur chacun des sites. Inversement, le suivi thématique pourra être une source d’expertise spécialisée pour le diagnostic territorial, du fait de la spécialisation thématique du premier (e.g. formulation de questionnaire…).

Le suivi thématique se déploie sur les quatre années du projet. Il vise à étudier les effets de l’arrivée de l’éolien en mer au travers de thèmes prédéfinis, économiques (la valeur de l’immobilier, l’emploi, la pêche professionnelle, les prestations touristiques), et relatifs à la gouvernance, aux usages et perceptions (évolution des perceptions paysagères, des usages et des sensibilités ; processus de gouvernance, mobilisations sociales, et émergence des mesures territoriales). Ces différents aspects ne sont pas étudiés en rapport avec chaque site, mais vont trouver des sites d’études privilégiés selon leurs enjeux prédominants. Chaque thème sera étudié sur au moins deux sites, pour permettre à l’analyse de bénéficier d’effets de contexte et de dynamiques contrastées. Ces sites seront précisés et/ou confirmés lors de la phase de calage du suivi thématique.

Principe

L’arrivée prochaine en mer d’une dizaine de parcs éoliens et de 5 pilotes sur 3 façades maritimes constitue l’aboutissement d’une politique éolienne en mer initiée depuis près d’une décennie. Elle annonce des transformations majeures du milieu marin, du littoral et des économies de certains territoires littoraux concernés. Cette matérialisation constitue un tournant à plusieurs points de vue.

Pour les milieux, et notamment le milieu marin, la présence des embases et des machines modifiera les équilibres, les cycles métaboliques et les dynamiques bio-géo-physiques. Ces modifications ne seront pas sans impacter les activités humaines associées, induisant l’émergence de nouveaux socio- écosystèmes dont on ne peut présager du degré de stabilité ou de turbulence, de typicité ou du caractère favorable ou non à de nouvelles cohabitations d’espèces et d’usages.

Pour les sciences, l’analyse des évolutions des milieux se doublera d’un changement dans les méthodes. La plupart des projets de recherche reposent aujourd’hui sur de la modélisation ou de l’expérimentation de laboratoire.

Le régime actuel de production de connaissances – qui consiste à faire et stabiliser la science avant de la communiquer – génère des décalages de représentations et de compréhension entre ‘sachants’ et ‘non-sachants’ sur le milieu marin, les infrastructures énergétiques, leur fonctionnement et leur relation à ce milieu. Ce fossé nourrit des méfiances et des incompréhensions qui ne permettent pas de s’accorder sur les enjeux ou les relations au milieu (marin, paysage, énergie …) jugées acceptables.

Ces constats appellent à explorer de nouvelles manières de suivre ces relations en pleine évolution tout autant que de mettre en partage les connaissances qui en dérivent.

Ouvrir la science, ouvrir le collectif

Le suivi ouvert propose d’ouvrir aux acteurs locaux le dispositif de production de la science à l’occasion du changement induit par l’arrivée des éoliennes en mer. L’idée est donc de mettre en place un dispositif d’apprentissage partagé, comme enquête et expérience à portée démocratique au sens où :

• i/ la construction des enjeux et objets de suivis, sur lesquels il est décidé d’apprendre, peuvent faire l’objet d’un échange et d’une construction collective, impliquant des médiateurs (acteurs locaux) ;
• ii/ les personnes engagées dans l’expérience peuvent découvrir en quoi elles sont concernées et affectées par les transformations en cours, et par là se constituer partie prenante d’une culture éolienne émergente.

Ce faisant l’enjeu déborde largement la simple ouverture aux acteurs non-académiques. L’élargissement du collectif concerne la manière de s’articuler à l’environnement, aux mondes animaux et à la planète devenue instable sous le coup du changement climatique.

Faire émerger des interfaces

Le travail consistera dans un premier temps à définir des interfaces, c’est-à-dire des entités/enjeux associé(e)s à un site, faisant l’objet d’un concernement partagé au-delà du simple domaine académique, et susceptible de suivi interdisciplinaire dans le cadre des moyens et compétences réunies sur le projet.
La définition de ces interfaces relève d’un processus collectif qui exige d’ouvrir le projet à des acteurs territoriaux. Ce processus requiert donc un temps de construction. Seules des pistes structurantes de la réflexion peuvent être évoquées à ce stade. Ainsi, le suivi ouvert peut-il s’intéresser :

• à suivre des flux pour faire émerger des entités, des échelles : il s’agirait alors par exemple de suivre les évolutions des courants marins et des dynamiques associées (e.g. transports des sédiments, dispersions larvaires, distribution des espèces non indigènes / risque d’espèces invasives, changements de biodiversité, prédiction du biofouling …) ou encore de suivre le vent et des dynamiques associées (e.g. oiseaux, migrations, partages du vent …) afin de saisir les espaces de vie et les échelles permettant de s’articuler aux mondes animaux, aux dynamiques hydrosédimentaires … Outre les communautés scientifiques mobilisées le travail pourrait mobiliser les pêcheurs (demander aux pêcheurs de larguer des bouées, mesures de trajectoires pour valider les simulations) ou les observateurs de la faune aviaire
• à suivre ou expérimenter des partages des espaces / cohabitations : il peut ici s’agir de suivre l’effet récif des embases ou des flotteurs éoliens, les cohabitations entre mammifères marins et éoliennes (suivi acoustique), les évolutions de filières / pratiques de pêche ou d’usages de la mer, les possibilités d’évolution des principes de conception et des pratiques de mise en œuvre de la grille aéraulique (éolienne) pour y intégrer des dimensions autres que celles de rendement énergétique ou économique, ou encore d’expérimenter des démarche de cogestion des parcs éoliens (ouverture à la pêche, conservation mammifères marins, tourisme industriel et observation mammifères, aquaculture associée …)
• à développer et suivre des articulations terre-mer : il peut s’agir de passer par le sensible (récits, parcours, …) pour partager, se représenter les environnements bas carbone émergents à l’articulation terre-mer, de mettre en partage et suivre l’expérience de paysages éoliens (parcours littoraux, pratiques quotidiennes du littoral) ou de mondes sous-marins /écosystèmes émergents, d’expérimenter des formes de représentation ou de concertation permettant de faire exister le territoire (héritages, récits, solidarités, développement local, devenir anthropocène…) dans la planification éolienne, de suivre des développements économique à l’articulation de la terre et de la mer (e;g. nouvelles filières, aménagements portuaires/urbains, structuration de chaînes de valeur …).

L’ensemble de ces pistes n’ont ici qu’une valeur structurante pour une réflexion sur les interfaces qui doit être collective et se rapporter aux sites éoliens en question.

Définir des modalités pratiques de suivi ouvert

De la même manière les modalités pratiques de suivi ouvert seront à élaborer collectivement et en rapport avec chaque interface. Ces modalités pourront croiser des dispositifs scientifiques, de concertation / mise en partage et artistiques.

On peut en première approche imaginer trois types d’approches et de finalités. La première s’inscrirait dans la continuité du diagnostic territorial, à l’écoute des besoins (e.g. jeu sérieux scénarisations, futurs possibles, souhaitables). Elle viserait à aider les groupes sociaux à exprimer des besoins / explorer des possibles. La deuxième, de type ‘carte blanche’, porterait sur des enjeux difficiles à exprimer (e.g. attachement au paysage éolien en mer) ; elle consisterait en un travail d’explicitation, pouvant passer par le sensible et l’invention de formes singulières (écoles d’art, artistes, institutions culturelles en place) pour donner une expression à ce qui concerne et le faire exister. La troisième répondrait à une volonté de mettre en circulation des connaissances produites, elle viserait à trouver des passeurs de sciences, à passer par recherche création pour donner forme à nos recherches et nos résultats.

L’élaboration de ces modalités de suivi pourront s’inspirer d’expériences en cours. La recherche d’expériences de références sera poursuivie en début de projet pour compléter ce référentiel.